SOMMAIRE

 

 

CHAPITRE PREMIER

 

LE JARDIN SECRET N'A PAS DE LIMITE

J'AI FINI LE LIVRE
LE VŒU QUI S'EXAUCE
LA FOULE QUI BAIGNE LE CŒUR
TOUT LE PLAISIR ÉTAIT POUR MOI
RENOUVELLEMENT DU PRINCIPE
SANS RAISON CONNUE
LA LUCIDITÉ DU SOMNAMBULE
LE TEMPS NE DIRA RIEN
UN TERME AU SOLEIL
UN COURANT D'AIR AU JARDIN DES TUILERIES
L'EXTASE DE LA VIE
LE DROIT DE S'ÉVANOUIR
L'ÉCHIQUIER N'EST PAS DE CE MONDE
INTUITIONS
MÉDECINE
DÉPART EN VOYAGE
L'AUSTÉRITÉ DE L'ARBRE
LA MUSIQUE
NOUS SERONS SAUVÉS

L'IMPATIENCE

LA PROMESSE RUSSE
MATIN
LE BERCEAU DES CAPRICES
BALUSTRADE

LA PORTE

UN JOUR LA TENDRESSE S'ÉTENDRA SUR LE MONDE
CE QU'IL Y A DE PLUS DOUX APRÈS UNE MAMAN
NOUS VOUS DEVONS PLUS QUE LA LUMIÈRE
LA PORTE
LÀ OÙ DANSE
L'IMPOSSIBLE FÉERIE
LE DERNIER LIT (CE QUE REGRETTENT LES MORTS)

 

 

CHAPITRE DEUX

 

LA GRANDE ROUE MAGIQUE

MILLE ROMANS EN UN SEUL (À L-F C)
TRAJECTOIRE
PRÉSENCE DU BONHEUR
LE DÉLUGE IDÉAL
LES ÉPREUVES TERRESTRES
IMPOSITION DE L'IMAGE
BARBARE
TOUTES PREMIÈRES FOIS
LA RUINE PURITAINE
TA VOIX DANS LE DÉSERT
LA CHASTETÉ DES EMPIRES
L'ALLÉE-VENUE
LISIÈRE
DESTINATION

J'AVANCE DANS LA NUIT

LA FONTE DES NEIGES
PASSER À TRAVERS
J'AI SOUS LES YEUX LE FILM
LA MEILLEURE PART
PIÉGÉ
L'ORAGEUSE PANOPLIE
PRÉVISIONS
LE CULTE AVEUGLE
VERMEIL SOLUBLE DES COMPTINES
LA FINITUDE
SAUTS D'OBSTACLES
LE PONTON ANIMAL

JE RÊVE D'EUPHORIES

PAYSAGE
À L'AVEUGLE
UN CIEL SANS PRISONNIERS
JE SUIS VENU POUR RIEN
EN CERCLES
LE MIROIR ÉVENTRÉ
L'ALBUM SOUVENIR
SUSPENDU
LA PAROI CENTRALE
J'AI RENCONTRÉ UN IMPOSTEUR
L'INFINI BLANC
ILS L'ONT DÉJÀ TOUS
AUTREMENT, AILLEURS
UNE CHOSE SI PURE
L'ÎLE
TOUT EST PARDONNÉ

 

 

 

LE JARDIN SECRET N'A PAS DE LIMITE

 

J'AI FINI LE LIVRE

 

À l'absence qu'on ignore toujours
Aux détresses fines des mains maladroites
À la surveillance des clairières
À toutes les envolées lyriques des pianos
Aux suspicions d'extases dans les dortoirs
Aux embouchures, aux estuaires de tous les lieux
À la dentelle cosmique des idoles, qui chantent
À la folie du directeur du manège
Aux souvenirs confus d'une enfance évaporée
À la promesse lasse des éléments divers

 

LE VŒU QUI S'EXAUCE


J'ai attendu longtemps ce moment
Un matin j'ai fui l'épais brouillard
J'ai laissé les clefs à la concierge
J'ai cessé tout effort
Et j'ai fui
Et j'ai laissé au chien de ma grand-mère
Celui que j'essayais d'être
J'ai défais tous mes tableaux
Je suis passé saluer le cafard
Qui habite à-côté
Et je suis parti
Pour la côte ouest de l'Islande
Non, pour la Mongolie intérieure
Pour les ruines Incas du Pérou
Je ne me souviens plus
C'était si loin
Et je suis rentré, le lendemain
Ma chambre n'avait plus de murs

 

LA FOULE QUI BAIGNE LE CŒUR


Dans les yeux clos des théâtralités
Ils ont annulé en moi
Toute idée de bonheur
Et j'étais enfermé
Et j'étais perdu
Je tournais autour du même cercle
Sans le dire
Peut-être même sans savoir
Puis j'ai trébuché
Et me suis réveillé plein d'affection
Pour une chose dérisoire
Cette chose c'était
Cette chose c'était...

 

TOUT LE PLAISIR ÉTAIT POUR MOI

 

Tout le plaisir était pour moi
Et je l'ai pris, je ne t'ai rien laissé
Je l'ai pris pour moi comme un égoïste
Toi que j'ai connu
Toi que je n'ai pas connu
J'ai ramassé ton plaisir il traînait-là
Tu n'en faisais rien
Tout occupé à devenir
Moi qui ne suis rien, je l'ai pris
Pour moi
Il était tout
Je te l'ai rendu ensuite
Il avait pris des couleurs
Et l'automne a flanché

 

RENOUVELLEMENT DU PRINCIPE

 

Tout occupé à capter les signes de l'écran
Dans la frontière adorable
Aux péripéties multiples
Aux enjambées carcérales
Tout occupé à ingurgiter tes déboires
À ne pas faire un bruit
À ne pas faire un pas en direction du soleil
Tu as perdu un morceau de ta lampe
À la luminosité des chambrées
Au poulpe diaphane de l'éventail des mers
Tu as perdu un morceau de ta lampe

 

SANS RAISON CONNUE

 

Je m'ennuyais dans une longue nuit délétère
À repousser d'un geste de la main
Les mouches mortes qui constellent les airs
Insectes invisibles
Je cherchais ma route au labyrinthe intérieur
Et m'infiltrais au centre de la spirale
Puis j'ai baissé mon visage
Repu d'efforts inutiles
J'abandonnais ma carcasse
Au trajet des escarpes
À la merci des voleurs
Je me suis couché, sans défenses
Et je n'ai plus rien dit
Et ce jour-là
J'ai tout découvert

 

 

Et l'étranger était rentré au pays
Saturé du désespoir de l'occident
Il avait tout observé, les ruines, les désastres
Les vieilles sensations d'être et la conquête de puissance
Les individus, à des kilomètres maintenant les uns des autres
Et la vie court-circuitée

L'étranger était rentré au pays
Les yeux saturés
Pour s'enfermer seul

 

LA LUCIDITÉ DU SOMNAMBULE

 

Je te surprendrai un matin
Tu ne me reconnaîtras plus
Tu te diras je ne te connaissais pas
Je te croyais éteint, et triste
Et malhabile
Je te pensais loin ou dans un autre monde
Je t'imaginais esseulé
À la merci, plaintif
Des horizons qui sombrent
Je te croyais incapable de paroles
Tourmenté par les sables du temps
Je t'imaginais presque mort
Incapable de voluptés
Incapable d'envolées
Je te surprendrai, un matin

 

 

Aux soufflements des cœurs
Aux jours seuls, séparés
À la reine des frondaisons
À la caresse noire des Kolkhozes
Aux vastes ennuis, aux sensations oubliées
Aux ronflements des ornithorynques
Aux terrasses ombragées des garçonnières
Aux fruits multiples des grandes enjambées
A la stupidité des faux-semblants
Aux pilules qui nous font miroiter la stratosphère

 

LE TEMPS NE DIRA RIEN

 

Un monsieur, aux allures fantomatiques
Qui traversait les ruelles
Comme un spectre
Errant dans la ruche humaine
Qui semblait égaré
Qui avançait
Le ruban sur le col
NE CHERCHANT RIEN
Et regardant de tous côtés, et les vitrines
Resplendissantes d'objets divers
Aux ventes promises des luxures

Un monsieur, aux allures fantomatiques
Qui traversait les ruelles

 

UN TERME AU SOLEIL

 

Une enfant, à peine venue au monde
Attachée à papa et à maman
S'émerveillait des friandises
Conditionnée très tôt à l'existence légère
Une enfant, qui voyait tout
Déjà reine en ce monde
Avant de sombrer
Indistincte
Dans le reflux des eaux impropres

 

UN COURANT D'AIR AU JARDIN DES TUILERIES

 

Les chaises, rangées en quinconce
Et les impératrices qui règnent sur le front des touristes
Des lignes animales de photographies
Des lanternes croisées rouges
Comme une promesse d'Amsterdam
Le bassin secret
Circulaire
Comme une bague autour d'un astre
Et les cheveux scintillants des gamins qui gambadent
Qui poussent les navires miniatures avec des tiges de bois
Et le paysage des ivrognes
Vieux passage conforme
Des ventes de biscuits secs, des limonades roses comme la mer
Et puis ce souvenir pictural
D'un tableau de Manet
Avec ce personnage derrière, au second plan
Le jardin, qui rayonne sa sérénité
Écume la tresse végétale des arbres
Et le vent long, qui va rafraîchir tout ça
Sans tenir compte
Ni des jours ni de la nuit
Et le vent, qui va rafraîchir tout ça

 

L'EXTASE DE LA VIE

 

Et l'Homme ivre qui palpite sur les boulevards
La paupière vibrante
D'un vieux sanglot séché, au bord de son œil
Cherchant une main amie
La moindre trace humaine
Sur la crasse du trottoir
Mais pas une attention, pour lui
Sa chère tombe est déjà prête

 

 

La luxuriance des lustres
Le vrombissement des mégères
La certitude moite des fleurs
La mise à plat des guerres miroitantes
Les cambrures faciles des hanches féminines
L'assiette mise pour les repas sans famille

 

LE DROIT DE S'ÉVANOUIR

 

On m'a raconté l'histoire d'un pêcheur seul, dans sa barque
Qui respirait déjà la splendeur de l'été
Loin du continent
Et qui se parlait à lui-même et qui lançait des filets mauves
Pour attraper les écrevisses
Un soir il s'est souvenu de Magellan
Il a mis les voiles soudain, se disant je m'ennuie
La vie c'est autre part c'est autre chose
L 'Homme est un menteur il n'a pas encore cartographié
La planète entière c'est faux c'est sûrement un mensonge
Il se disait il nous reste une île inconnue à découvrir
Une dernière île perdue là-bas, vierge encore
Vierge de présence pour y rester toujours
Et le pêcheur parti embrasser son abîme

 

L'ÉCHIQUIER N'EST PAS DE CE MONDE

 

Dans le vestibule muet des piscines élémentaires
Dans le vase-clos des indifférences
La console inflammable des pâleurs latines
Et le lit, là, qui s'évertue à l'attente de l'aube
Rêve encore à ces langues torsadées
Qui nous racontaient la ligne superbe des sculptures
Aux lettrines classiques, aux nuées adultes des corbeaux
À la beauté systématique des passerelles
À tous ces champs brûlés par le soleil

 

INTUITIONS

 

J'ai posé cinq doigts sur la neige
J'ai mâché des pelures mortes et des empreintes lascives
J'ai monté les échafaudages des arbres de verre
J'ai goûté les brosses à dents, les pastilles de fluor
Les chevaux inutiles pour les voyages humains
J'ai essayé la sensibilité électrique de l'indocile
J'ai voulu retourner le monde d'un seul coup
Pour me retrouver contre lui
Alarmé d'un million de sentiments confus
Abasourdi et tragique, lutte des maréchaux
J'ai pris l'univers en divorce
Pour la seconde fois

 

MÉDECINE

 

La ligne ébouriffée des heures subtiles
Le précipité à tromper l'ennui, pour un royaume synthétique
Un bout de fer dans la veine, pour un transport multicolore
La légèreté sulfatée, l'amour impalpable, l'absence comblée d'un coup
La croissance spirituelle, le mirage en état limite
La mélodie facile des opéras fantômes
La cure, l'antidote au poison pire que le mal
La pleine conscience du regret, changé en opalescence
La mort qui sanglote sur les étangs
Dormir mille ans
La mort qui nous attend, les bras croisés, et qui tape du pied
La drogue, bidonville du paradis

 

DÉPART EN VOYAGE

 

Venise, labyrinthe pétrifié qui sommeille dans ses lagunes envahies des oiseaux
Rome, la couronne antique aux fontaines plus brillantes que les casques d'empire
Bruges, ou les blasons colorés des commerçants enrubannés dans les demeures
Paris, squelette poitrinaire au vieux cœur romantique, berceau de l'esprit, à l'âme crépusculaire
New York, promesse criarde des jouissances basiques et des billets grands comme des buildings
Berlin, le long calvaire des machines cassées, avec Goethe coincé dans une poubelle
Londres, tic tac des costumes, cohorte de l'industrie décollée, des affiches obsédées du chiffre
Vienne, citadelle aux tiges d'or et aux refrains courbés de Klimt et de Schiele
Moscou, capitale révolutionnaire aux alertes enfiévrées, déchaussée de ses passions mortelles
Tokyo, circuit des technologies supplémentaires, aux épanchements pour la science lubrique
Shanghai, fourmilière épaississante, au capharnaüm copié du monde

 

L'AUSTÉRITÉ DE L'ARBRE

 

Je n'ai soufflé mot jusqu'à hier
Je n'ai rien dit jusqu'à ce moment-là
Jusqu'au contact empirique
Jusqu'à dépasser le trait de la latitude
Je n'ai soufflé mot jusqu'à hier
Je n'ai rien dit jusqu'à ce moment-là

 

LA MUSIQUE

 

On s'agrippe au violon pour le faire gémir
On appuie la digitale sur l'alternance blanche et noire des pianos
Les yeux fermés, la paume des mains contre les cordes de la harpe
C'était l'harmonie qu'il nous fallait connaître
Puis on tressaille quand la musique débute
Puis on en tremble de nous confondre dans notre ciel commun
La chimie commence
Et les mélodies contraires fraternisent

 

NOUS SERONS SAUVÉS

 

Nous serons sauvés dans le calme des méduses
Dans ce qui s'éparpille
Dans l'arrête luminescente
Dans la petitesse des conjectures
Dans l'angine de nos joues, dans le classement des étoiles
Dans les sacs en plastique des supermarchés, dans l'âge tendre
Nous serons sauvés dans tout ce qui s'évapore dans la nuit

L'IMPATIENCE

 

LA PROMESSE RUSSE

 

Regarde
C'est le monde qui attend
Il attend de te voir
Il attend que tu aies fini
De mettre tes chaussettes, et ton pantalon
Il patiente
Le temps que tu glisses ton collier autour du cou
Que tu mettes tes bracelets
Le temps que tu te regardes dans le miroir
Et que tu ouvres la porte
Regarde
C'est le monde qui attend

 

MATIN

 

Dans la froideur matinale d'un hiver capricieux
Quand le soleil se baigne dans un ciel long et blanc
Comme un Pôle Sud retourné
Quand l'humidité grimpe dans les laines et dans les écharpes
Sur la route verglacée où les gens vont lentement
Où tout est indolent, où tout semble en attente
Où toutes les choses semblent vouloir se serrer les unes contre les autres
Pour se réchauffer, sans rien dire

 

LE BERCEAU DES CAPRICES

 

Vous n'avez jamais souri, ou presque
Vous êtes restée toute une vie pleureuse
Perdue là-bas, à attendre que le feu s'ouvre
Mais il ne s'ouvre jamais
Il fait toujours semblant
Et la vie elle-même fait semblant
C'est peut-être ce qui est beau
Mais vous pleurez quand même
Pour une chose qui ne viendra pas
Pour une chose irréductible
Et moi je vous aime ainsi, triste
Chaleureuse comme une promesse
Une promesse de consolation
Consolation qui ne viendra pas

 

 

Sur le tambour sec des tablatures diverses
Sur cette évasive et langoureuse après-midi
Sur les comptoirs où tergiversent des saltimbanques aigris
Sur les balustrades où on se soulève pour ruminer la révolte surannée
Sur les sacs où on range des souvenirs en éparpillements
Sur les cachettes où se diffusent, indistinctes, des odeurs de vieilles pages mouillées
Et de menthe
Sur les chemins de traverses, dans les forêts délimitées

 

BALUSTRADE

 

À l'éloge du contour des arbres, au destin des oiseaux migrateurs
À la valse des gens transportés par la vie, de manière naturelle
Comme dans un air que moi, je n'entends que par instants
Aux détournements des aérodynes, aux sillages des navires coulissants
Aux carambolages des machines, à la dilatation des esquisses
À ce trait noir qui circonscrit mon existence
Aux vieux films désuets en noir et blanc, à la saccade des rivières

Aux parapluies qu'on déploie en plein soleil
À ces frétillements imperceptibles qu'ont les gens, quand ils font de vieux os
À la tremblote des énergumènes, aux fous qui resplendissent
Au satiné du vers, aux patinoires fermées à 21 heures
À tout ce qui danse sous un air connu des autres
Et que moi je ne connais pas

LA PORTE

 

UN JOUR LA TENDRESSE S'ÉTENDRA SUR LE MONDE

 

Et la vie s'est lassée d'être là
Elle est partie un matin sans rien dire
Sans même un mot elle t'a abandonné à ton sort
Elle est partie courir les rues
Elle ne t'a laissé ni argent, ni objets-souvenirs
La vie t'a abandonné un matin
Et depuis tu la cherches à chaque minute
Et ne parles plus que d'elle

 

CE QU'IL Y A DE PLUS DOUX APRÈS UNE MAMAN

 

Le sinistré, le cloporte, le rampant dans les coulisses
Ce qui tonne discrètement dans les embrasures
La masse des éclaboussures, la mélodie tapageuse
Ce qui se couvre le matin, sous un drap sans couleur

 

NOUS VOUS DEVONS PLUS QUE LA LUMIÈRE

 

Et je tente de le nommer
Mais je n'y arrive pas
Et j'en fais le tour
Je le regarde de tous côtés
Je le toucherai presque
Et je le regarde, je l'observe
Mais je n'y arrive pas
Je n'arrive pas à le nommer

 

LA PORTE

 

J'ai marché longtemps, pour me retrouver-là
J'ai avancé vite et je ne me suis pas retourné
Je n'ai pas calculé mes nuits
Je n'avais plus de forces, j'ai laissé retomber
Ma carcasse migraineuse sur le bas-côté
J'ai marché longtemps
À en faire des tours avec les aiguilles
Sans m'arrêter, sans savoir vraiment où j'allais
Si ce n'est ce bout de lueur là-bas
Qui brille et qui attire les êtres égarés
J'ai marché longtemps pour en arriver-là
Une fois à destination, j'ai fermé ma porte
À triple tours
Pour être seul avec elle

 

LÀ OÙ DANSE

 

Et j'ai attendu
Plusieurs heures, peut-être des jours
J'ai attendu dans le silence
Derrière la porte fermée
J'ai attendu de venir au monde
Les poings fermés, enfoui dans la détresse
J'ai attendu dans le feu
Je pensais je vais tout réinventer je vais faire ça à ma manière
Je vais prendre le chemin inverse
Je vais mettre la boussole en-dehors de ses gonds
Et j'ai attendu le jour parfait pour mettre un pied dehors
À L'EXTÉRIEUR
Et plus rien ne devait me bousculer

 

L'IMPOSSIBLE FÉERIE

 

On compose avec notre détresse à la longitudinale
Du Soleil
Cette ampoule du ciel qui coordonne patiemment
L'extraordinaire beauté du monde
Si on fait abstraction
De l'humanité cette immense brisure
On peut voir bouger lentement à chaque respiration
Le peu qu'on tient encore pour nous
On peut voir le monde de loin et se dire
J'ai laissé derrière moi un bleu caprice
J'ai coordonné mes jours

 

Je suis passé un moment dire bonjour aux perroquets
Et la mort approche, parfois
Et on a peur, et on frissonne

 

LE DERNIER LIT (CE QUE REGRETTENT LES MORTS)

 

C'est la sensation du soleil, la chaleur sur la peau
Adoucie par un vent subtil, très frais
La contemplation des choses, un ami
Un dernier verre pour la longue route qui les attend
Ils l'auront désirée à tout bout de champ les malheureux
Cette éternité pâle des secrètes allonges
Ils l'ont désormais, ils la possèdent
Dans leur immobilité
Maintenant ils sommeillent dans les berceaux
À quoi peuvent-ils songer
C'est qu'ils ont tout oublié, même l'existence du monde

 

 

Dans le mouvement des aiguilles, dans le sang des sirènes
Dans le stratagème des colimaçons, dans la chute des empires
Dans les volutes pourprées de l'espoir, dans le collage diaphane des imageries
Dans le journal intime des morts, dans les traces ignifuges d'une vie convulsive
Là, j'ai trouvé ce que je désirais, et commence le livre

LA GRANDE ROUE MAGIQUE

 

MILLE ROMANS EN UN SEUL (L-F C)

 

Mon admiration pour toi dont tu ne veux pas n'en aura pas fini de se déteindre
Mon occlusion momentanée commence à peine sa bribe, à lever de l'encre
Pendant que toi tu as tracé d'une main le désespoir humain
Dans la grande ligne
Comme un orage, à la dentelle salubre
Griffure au ciel
On verse dans le dédale aux lingots d'or fin dans la brousse...
À rebours de la cité ventriloque
À la pagaille noire des orfèvreries centrifuges
Toi tu sautes à l'envolée pour aller déséquilibrer le manège
Briser la porcelaine
Un moment
À peine un moment
Pour tout un reste d'avenir
On envoie des écrits aux déboires de quoi se donner un abri
Aux extinctions sans réponses
Aux monticules désarçonnés, aux prisons magnétiques
Ton visage éclairci par son passage de nuit
À la crevaison des phosphores
Un hymne pour la vaporisation de l'insecte
Tu écris comme tu parles c'est déjà tant
On se rompt la voix sans s'avachir
Incompressible soleil

TRAJECTOIRE

 

J'ai copié à droite et à gauche je n'étais
Jamais moi-même sans cesse une voix différente
À maquiller mes pages de l'énergie des autres m'imaginant
Les vaincre avec mes doigts maladroits
Je me disais celui-là est bon, je vais le prendre pour moi je suis
Meilleur je suis infiniment meilleur qu'eux...
Un matin d'octobre je me suis réveillé les pupilles rétrécies je me sentais
Comme entouré d'un millier de détritus c'était moi
C'était moi dans la cage avec les oiseaux piailleurs
Autant de bleu pour couver un tel monde
J'étais derrière le rideau et tenais les fils des marionnettes
Je me disais je suis Dieu j'avais vraiment du plaisir
Une de ces joies malsaines dans le feu d'artifices des idoles
Je pensais on m'adore on m'idolâtre un vrai poète mais ce n'est pas moi
C'est pas moi qu'ils aiment c'est le souvenir des autres
Espèce d'imbécile tu n'es pas le premier à t'être fait avoir...
Je regarde une seconde en arrière et maintenant je sais
Je n'ai encore jamais écrit pas la moindre phrase

 

PRÉSENCE DU BONHEUR

 

Après le sommeil, la vie recommence
Tu tournes ton visage à gauche, puis à droite
Tu te reconnais, tu es chez toi
C'est assez calme il est 17 heures
Tu viens de te réveiller
Nous sommes Samedi
Tu as quelques messages sur ton répondeur
Des gens impatients
Ils vont te demander des choses
Les faire attendre
Pendant la nuit tu as caché dans une petite boîte
Un mot plein d'espoir je suis aimé
Tu t'en rappelles soudainement
Et tu te lèves, le temps est magnifique

 

LE DÉLUGE IDÉAL

 

J'avais envie de te le redire
La vie c'est autre chose, le sais-tu
Ce n'est pas faire semblant
Tu veux tout refaire
Un, deux, trois, quatre...
Tu veux bouleverser leurs mondes
Les pousser à l'extrémité de leur folie
Tu voudrais qu'ils avouent je fermais les yeux
C'était ça, je fermais les yeux...

 

LES ÉPREUVES TERRESTRES

 

Et je l'ai vu de dos l'anonyme
Je l'ai vu dans la rue un soir
Je crois qu'il portait un chapeau
Une espèce de chapeau melon à la Magritte
Avec de la fumée au-dessus de lui
Peut-être qu'il fume
Je ne sais pas ce qu'il fume celui-là...
Je l'ai vu saluer une fille
Qui avait l'air d'une jeune prostituée
Et partir avec elle et lui glisser dans la main
Un objet que je n'ai pas su identifier
Une sorte de fruit de mer violet
Légèrement scintillant
Qui laissait tomber de la matière comme du sable
Peut-être un sablier cassé
J'ai voulu les suivre ils allaient trop vite
Mais quand je suis arrivé-là
Où ils étaient restés
Quelques secondes avant
Juste quelques secondes avant
Il y avait par terre sur le bitume
Des résidus brisés
Comme un coquillage qu'on aurait broyé dans les mains
Pour ne repartir qu'avec la perle

 

IMPOSITION DE L'IMAGE

 

Je vais te faire un cadeau
L'offrande ultime du poète amoureux
Je vais te décrire la fin du monde

 

BARBARE

 

Tu es dans un camp de concentration mon amour tu es
Prisonnière d'un millier de choses tu n'en as pas idée
Ils sont bavards ils ne savent pas se taire chacun
Souhaiterait s'évaporer une minute loin de l'enfer voici qu'elle s'agite
La vie toute résumée mon amour marche continue la vie c'est ici
Je vais me faire plus dur je vais anéantir dans tes yeux la réalité
Je vais entrer en guerre pour toi je vais mettre mon casque
Je vais partir je vais rejoindre une armée de poètes la face cachée du monde
Stalingrad c'est fini maintenant c'est dedans que ça se passe et c'est plus dur
L'univers est mort mon amour le paradis s'est éteint éclipsé
Nous sommes en plastique aseptisés perfectionnés et puritains la vie loin de nous
L'écran est faux l'échappatoire n'est pas dans les pixels
Tu es déjà piégée mais ne bouge pas tombe amoureuse
Cherche-la partout la solution existe je vais te la décrire si tu veux je vais t'expliquer
Oublie une seconde ne pense plus ne te mets pas en avant oublie ton nom
Sois silencieuse une minute d'abord attends avant de construire ton existence
Mets tes mains sur les fils barbelés ils ne sont pas électrifiés ils mentent tiens-toi à moi
Ne lis plus les panneaux interdictions respire un grand coup
Je vais te donner une grenade tu vas bousiller tes murs tu vas partir loin
Libère-toi à l'intérieur dehors la réalité va se fracturer regarde

 

TOUTES PREMIÈRES FOIS

 

Nous rêvons assez tard et ne nous arrêtons jamais
Trempons cette vie dans l'acide, fuyons
Et pleurons s'il le faut, ne prenons que ce qui est vivant
Au fond de nous pendant qu'il est temps encore
Avant peut-être de nous éteindre à notre tour c'est maintenant
Avant de nous allonger de nous confondre avec le dos de la terre
Sphère qui avance à deux cent milles kilomètres à l'heure à travers la galaxie
Prenons-le cet émerveillement la minuscule vie
Donnons-lui d'autres dimensions allons voir la nuit

 

LA RUINE PURITAINE

 

À-côté de nous ils semblent éteints ridicules ne les écoutons pas
Ils sont perdu dans les ruines d'une existence mimée
Ils font tout pour se prouver la sensation de la vie mais ils l'ont perdu
Pantins dérisoires aux ficelles détachées ils rampent
Pas le moindre résidus d'humanité dans la vacarme
Et l'innocence amoureuse anéantie pas même un regret
Allons trouver le refuge une chambre à part
Ils sont affamés ils ne savent plus de quoi mais je sais
Une chose très simple et très légère ils l'ont déjà dans les mains
Ils sont aveugles

 

TA VOIX DANS LE DÉSERT

 

Et plus on lance des mots immédiats et plus nous sommes loin du compte
Moins nous sommes innocents et moins nous sommes forts
Plus on veut tout dire d'un seul coup et moins nous sommes adroits
Plus on creuse plus nous nous rapprochons de l'air libre
Chaque je t'aime factice nous pousse plus en-avant dans la solitude
De tout au fond du dérisoire nous portons à bout de bras la poésie dernière incompressible
Ce que tu penses avoir oublié est toujours ici dans ton vase intérieur
Plus tu pleures et plus tu maintiens en vie ce phénix végétal
Chaque mystère qu'on déflore donne sur un millier d'autres mystères, les ressources sont illimitées
Ni la vie ni le quotidien ne sont absurdes, c'est une pure invention
Et plus on se dirige dans le sens inverse du monde
Et plus la voie se libère

 

LA CHASTETÉ DES EMPIRES

 

Je la vois qui épanche sa crinière au vent glacé du nord
Dans une profonde galaxie c'est un tableau de Klimt
Ses ongles dans les tresses j'ai crû voir des étoiles
Et pendant une seconde j'ai pensé
C'est la même poudre qu'on trouve sur les ailes du papillon
Ou plutôt non ce sont des pellicules
Avec un peu de saletés de la ville mélangées
Mais ça aussi ça vient des étoiles

 

L'ALLÉE-VENUE

 

Ce que je préfère c'est le calme entre deux tempêtes
Après le vacarme et le tohu-bohu
Je me dis c'est là c'est ici la vérité du monde
Quand tout s'arrête et que les objets s'immobilisent
Flottent délivrés de tout apesanteur
Cet instant exilé en-dehors du tumulte
Nous avons essayé de le faire nôtre un instant
Pas même une minute avant que les cris recommencent
Perpétuel aller-venu

 

LISIÈRE

 

A la fin on s'allonge, épuisé de tant réfléchir
On songe aux forêts de bambous de la Chine, aux pandas assoupis
Aux calottes de glace en Islande aux sources d'eau chaude
Aux acacias épineux, aux enfants qui chantent dans les églises
Aux chats qui ronronnent et qui laissent sortir leur griffes de plaisir
Aux tribus primitives qui frappent les tambours infinie richesse du monde

 

DESTINATION

 

Saturé de confusions
Tu vas te perdre dans l'existence légère
Retrouver la consolation perdue
L'unique explication de toute chose
La source des profusions amoureuses
Et l'ultime berceuse
Tu déboucles la sangle tu te dis enfin je rentre chez moi
Tu arrives finalement tu ouvres la porte

J'AVANCE DANS LA NUIT

 

LA FONTE DES NEIGES

 

J'ai rêvé mille vies je n'en ai pas vécu une seule
J'ai rencontré une foule de gens je n'ai pas dit un mot vrai
J'ai deux mille attentes au fond pas une ne sait pourquoi
J'ai un nombre incalculable de souvenirs qui traversent mes veines
J'ai pleuré mais la raison m'en est inconnue
Trois mille colères, pas une ne sait contre qui
Cent opinions sur cent sujets mais pas une ne compte
Deux cents jouissances de vivre absorbées seul dans le noir et l'absence
Partout dans ce fragile état des choses je le sens toujours
Je ne l'enverrai jamais par la fenêtre
Dans un coin le paradis étonné frisonne encore

 

PASSER À TRAVERS

 

Aujourd'hui tu as souhaité écrire un chef-d'œuvre
Tu le tenais, il était là, tout près
Tu l'as senti venir-là de tout au fond
Et remonter vers le palais
Il s'est cogné contre les parois
Tu as voulu le serrer de tous tes muscles
Mais il était fragile et craintif
Et tu es maladroit
Il est retombé là, doucement, au fond
Dans sa cellule
Emprisonné

 

J'AI SOUS LES YEUX LE FILM

 

Quelques dizaines de secondes
Le temps que la pluie descende de son nuage
Quelques dizaines de secondes
Pour retomber sur mon toit, ploc
C'est le son de notre vie, mais notre vie à nous
Rien qu'à nous

 

LA MEILLEURE PART

 

Parfois nous l'oublions
Il y a pourtant un secret
Un de ces secrets qu'on ne touche pas
Peu de choses terrifient à ce point
Ce centre autour duquel on tourne en rond
Il est la source d'un peu tout
Et toutes les gesticulations pour tenter de le camoufler

 

PIÉGÉ

 

Un soir
J'aperçu un être vrai
Dans un beau tableau d'apparences
Où chacun s'adore
Et s'évapore en fumée
Mais moi je ne m'aime pas
Et je suis fier de ne pas m'aimer ainsi
A poudrer d'or des gens déjà trop beaux
Je me suis retrouvé un soir
Seul face au bonheur
Et je l'ai vaincu

 

L'ORAGEUSE PANOPLIE

 

Incapable de faire semblant
Ni de prendre part au jeu
Je ne sais pas même vivre
Ce que je sais faire, par contre
Comme les aveugles
C'est fixer le soleil sans être brûlé

 

PRÉVISIONS

 

Aucune pensée ne maquillera notre hiver
Ni les rides de ce vieux désert désuet
Ni le rêve magnétique
Calfeutré dans les plis du rideau qui nous cache l'univers
Dénudons nos prévisions pour nous retrouver sans rien
Et quand, enfin nous y arriverons
Nous nous retrouverons sous un nouveau jour

 

LE CULTE AVEUGLE

 

Ainsi je ne savais pas qui tu étais
Et je t'ai regardé pourtant
Comme un étranger que j'aurais fait mien
On s'approprie si facilement ce qui n'est pas à nous
Se connaît-on vraiment
Quand tout n'est qu'un théâtre illuminé
Et désordonné
On cherche, partout
Un miroir pour refléter le miroir

 

VERMEIL SOLUBLE DES COMPTINES

 

Une individualité qui possède tout
Mais qui n'est pas heureuse
Une richesse toute apparente
Et la célébrité des cafards
Pantins ridicules
Il nous suffisait d'un léger bandeau sur les yeux
Pour, aveugles, sauter avec joie dans l'abîme

 

LA FINITUDE

 

Un secret dormait dormait dans les beaux jours
Où tout est magie, surélevé comme
Sur une plénitude d'enchantements où tout est lumière
Délesté de peines et planants sur les ornements
Des jardins pleins de sueurs, des esclaves portaient
A chaque doigt une douloureuse langueur comme un parapet

 

Assoupi dans un coin, le paradis rêve de moi

 

SAUTS D'OBSTACLES

 

Par trop d'intelligence on arrive au fond des choses
Alors, tout est vain, tout est fatigue
Et la tristesse est l'unique lucidité
On s'ennuie à mourir de presser l'orange de la vie
Dans nos cerveaux épuisés de tout connaître
Jusqu'à ce qu'aucun jus ne coule
Alors, effrayés de nous retrouver sans rien
Nous mangeons l'écorce
Et nous aimons son goût amer
Rien d'autre ne nous procure la sensation
Sensation, maîtresse du monde
Toute la douceur que nous connaissions
N'est plus qu'un mensonge enfantin, une vieille dérive

 

LE PONTON ANIMAL

 

Assis là-haut, sur ton tertre
Tu regardes les fourmis faire leur tapage
Ton cœur est apaisé, ne réclame plus sa consolation
Et tient son amplitude

C'est l'heure de la simplicité primitive

Assis, là-haut, tu ne possèdes rien ni personne
Et pourtant tu n'as plus de sagesse
Tu as eu ce que tu désirais
Mais bientôt, tu vas de nouveau brûler d'impatience

LES DIVERSIONS

 

PAYSAGE

 

C'était pour ceci
C'était pour laisser derrière toi une longue vie ennuyeuse
Là-bas
Au loin
Dans les îles de Gauguin
Ou d'un certain Charles Baudelaire
Tu vas renoncer
Pour ton amour-silence
À cette vie qui souffre tant pour être belle
Tu vas abandonner
Rendre les armes
Pour ce que tu crois détester
Pour un lieu sans détresses
Mais tu as regardé dans les recoins
Des régions les plus calmes
Et les plus lointaines
De tout ça tu ne ferais rien
Sans quelques grammes de confusions
De désordres à vainement démêler
Tu veux renouveler ton expérience
Tu souhaiterais découvrir la vie
Comme au premier jour

Peut-être que ce vœu n'est pas encore vain

 

À L'AVEUGLE

 

Entre deux lèvres
À peines ouvertes
Les deux yeux penchés
Les yeux de Modigliani
Les tresses autour de ses cœurs
Frappée
De la révolution d'un soleil puis deux

 

Me voici dans ce qui t'attire
Allongé dans ta sensibilité
Parfois un seul bruit peut me dévaster
C'est ce bruit pour aboutir au silencieux
Celui posé sur les meubles
Celui qui a la forme arrondie d'une épaule
Exactement comme le soleil que voici

 

Et je l'ai jeté en l'air
Sans réfléchir
Je l'ai fixé du regard
Sans arrière-pensée
Celle-ci est si mystérieuse
C'est à n'y rien comprendre
Pourtant
J'ai crû en comprendre beaucoup de ces choses
Comme elle
Plus que je ne voudrais l'avouer

Je l'ai regardé retomber
Et se fondre

Et remonter

 

UN CIEL SANS PRISONNIERS

 

Une présence
Une petite présence perdue
Perdue au milieu de toutes les autres
Présence qui n'est pas la même
Celle-là
Celle-là même
À ceci près
Près d'être là sans y être
Un rien
Un rien sinon plus
Un rien sans être plus

 

Je n'ai pas sommeil
Je vais peut-être prendre une minute supplémentaire
Une minute imprévue

 

JE SUIS VENU POUR RIEN

 

Tu t'extrais du wagon
Tu poses un pied timide
Tu prétends pouvoir le faire
Tu penses être un instant sur le sol
Et l'imagination se déclenche
Et ça tombe tout à coup ébloui un avenir proche c'est ceci

 

EN CERCLES

 

Je vous l'avoue
C'est dit
Je vous en veux, -moins le en-
Je vous l'ai dit
Mais
Faisant ce vœu
Beaucoup plus
Si
Je vous l'ai dit un beau jour
Je vous en veux
-Moins le en-

 

LE MIROIR ÉVENTRÉ

 

Je peux vous le dire
Je ne suis pas désespéré madame
Je ne suis pas seul non plus
Je mets des histoires de toutes les sortes dans ma bouche
Il y a peut-être un soleil coincé-là
C'est ce soleil que j'essaye maladroitement de décrire
Est-ce que vous me comprenez madame
Est-ce que vous allez me lire
-Je suis un peu perdue est-ce normal ?-
Vous êtes perdue
Exactement
C'est ce que je cherchais

 

L'ALBUM SOUVENIR

 

Ce mot qui était si fort
Je l'ai tant avalé et je l'ai tant décoloré

Je l'ai jeté une nuit sans faire attention
De mon lit, alors que j'étais dehors
Sur le plafond, ce toit de mon monde
Je l'ai jeté pour m'en débarrasser
Ou pour qu'il règne sur moi de longues heures
Je ne sais plus
Mais je l'ai tant délaissé, ensuite

Les gens qui venaient dans ma chambre
Ne le voyaient pas car ils ne regardent jamais au ciel
Et moi tous les soirs, couché
Comme une autre vie
Comme le dernier indice de cette vie qui m'habitait, avant
Je rumine cinq étranges lettres qui ne veulent plus rien dire : refus

 

SUSPENDU

 

Le matin avant que vos souvenirs assemblent à nouveau votre monde,
Il y a, l'espace d'un instant, quand vous n'êtes pas encore tout à fait réel
Avant que vos deux pupilles s'ouvrent
Et reprennent le cours de la vie
Il y a cet étroit moment, venu de nulle-part

Avant que la lumière du jour ne vienne
Colorer votre étroite réalité
Éteindre votre infini

Il y a la naïveté de vos yeux fermés qui regardent le monde sans le voir
C'est là que vos cheveux prennent leur odeur
C'est là que vos désirs se formulent
À cet instant précis ils prennent naissance
Quand vous n'avez pas encore posé de noms sur les choses
Quand vous ne savez pas encore qui vous êtes
Quand vous êtes perdu

 

LA PAROI CENTRALE

 

Et toi je t'ouvrirai les yeux comme tu ne les as jamais ouverts
Je fermerai les écoutilles du monde
Il n'y aura ni bruits, ni vacarmes
Ni désenchantements
Seulement un long silence qui ne sera pas le sommeil
Je t'offrirai un moment de sérénité

 

J'AI RENCONTRÉ UN IMPOSTEUR

 

Je t'écrirai un beau poème en une nuit
Il sera personnel
Il sera pour toi
J'y mettrai ce que je suis, ce que j'ai voulu être
Sans images magnifiques
Sans être un autre
Sans te montrer autre chose qu'un visage
Perdu seul dans la nuit
À chercher la nuit des autres

 

Des milliers d'inconnus rêvaient de la même chose

Et la sirène me disait
Pour me venger du monde je serai silencieuse

 

L'INFINI BLANC

 

Ni l'Inde, ni la Chine
Ni la Colombie, ni le Costa Rica, ni la Lune
Ni l'inconnu ni le fleuve, ni le désert
Ni moi, ni un autre, ni personne
Ni la nature, ni la crasse
Ni ses lèvres, ni ses bras
Ni le gâchis ni le bonheur
Ni le travail ni l'ennui ni le rêve

 

ILS L'ONT DÉJÀ TOUS

 

Je suis allé acheter quelques épines pour une fille absente
Des parts de moi à la lune qui n'en veut pas
J'ai fait cadeau de quelques minutes silencieuses à la mélodie
J'ai offert de la neige à un esquimau
De la solitude à mon meilleur ami
Des bouts de papier journal à celle qui ne lit plus
J'ai filé mon rêve à un voleur
J'ai jeté un millier d'hameçons dans la mer
J'ai acheté un appartement pour l'offrir à un navigateur
J'ai laissé des tâches de mon amour nu dans un bordel
J'ai offert un monde de fleurs à la grande Alaska
Une cage d'oiseaux de papier mâché pour un prisonnier du ciel

 

AUTREMENT, AILLEURS

 

Un soir j'avais fait le tour de mon glacier
Comme on fait le tour de son oreiller, on croit faire des kilomètres
On ne bouge pas d'un petit doigt, on reste accroché ici

Je vais partir, demain matin je laisse tout
Je vais m'échapper je vais enfin connaître l'ailleurs
Mon intuition sera vraie la vie c'est bien autre chose
Ce n'est pas la colonie d'ours blancs, ni les oligophages
C'est des intuitions comme on en a jamais vu
Je n'ai pas puisé le millième de l'orge de mon bonheur

 

UNE CHOSE SI PURE

 

Je me dis, fermement
Devant la couleur étrange de ce ciel aujourd'hui
À l'inverse de ce qu'on se dit, souvent
À écouter les fées papillonner dans les aigue-marines
Comme des bougies en plein jour, comme des vers luisants
Perdus dans les beaux pays lointains, je me dis, j'attends
J'attends qu'un foutu soleil se lève sur mon plus beau rêve

 

L'ÎLE

 

Je connais des pays qui sont au-delà de vos espérances
Des îles qui vous appellent et que vous n'entendez pas
Les sirènes là-bas vous parlent de la douleur
Pour mieux vous apprendre votre bonheur d'exister
Là-bas nous sommes seuls au monde
Et à la fois
Sans solitudes

 

TOUT EST PARDONNÉ

 

Peut-être était-ce ceci l'existence,
Peut-être était-elle un cadeau des dieux
Peut-être jouons-nous aux malheureux dans l'espoir d'être consolés
Et la vie est un long caprice

Un vœu bredouillé maladroitement du fond du placard
C'était cela
Comme un prisonnier songe à la liberté
Je rêve depuis l'obscurité d'une lumière splendide
Je rêve d'euphories

Textes non libres de droits. François Leturcq. Novembre 2005