LES PROMESSES D'UN JEUNE RÊVEUR
Bon, et maintenant, si je disais qu'en effet la poésie ne change
pas le monde mais elle change, au moins, ma vision de celui-ci ? D'abord
ma propre vision. Que pourrais-tu répondre à cela ? Le
Monde ne peut t-il être bouleversé, sous un regard ? L'expression "changer
le monde" prend maintenant un tout autre sens. Le réel n'est
t-il pas constitué de 6 milliards de visions uniques, plutôt
que d'un seul globe totalitaire, perçu exactement de la même
manière, par tous ? Si, à mes yeux, je change l'univers
entier, en modulant la vision, j'exerce une pression sur les regards,
et ma vision se propage. "Mais je vénère comment,
par une supercherie, on projette, à quelque élévation
défendue et de foudre ! le conscient manque chez nous de ce qui
là-haut éclate" (Mallarmé). Les lignes construisent
la personnalité, elles explorent, elles changent. C'est ça,
changer le Monde, par la trame subtile. Ensuite, les oeuvres sont implacables
et reviennent à la surface, parfois après de longues années,
le temps aux esprits de s'ouvrir et de rattraper l'avance prise par l'écrivain,
premier habitant d'une civilisation non encore apparue. Et puis, peu m'importe, que quelqu'un soit célébré dans le monde entier par la race humaine, s'il n'est pas chanté par des anges, des arbres ou le cacatoès au bec crochu. "On peut emporter le paradis d'un seul coup" (Baudelaire). En étant seulement en pleine ivresse, satisfait de la naissance, pendant quelques instants qui s'étirent, de son nouveau-né, de son oeuvre, son enthousiasme, son vase taciturne. Pendant ce court instant, on est le maître du Monde, des humains, des animaux, je dirais même. Puisque par essence, l'écriveur est un raté prédestiné, à vouloir
appliquer l'infini sur le fini, à parcourir un idéal intouchable,
pourquoi ne pas appliquer cette absurdité aux choses matérielles,
cette utopie, à savoir changer le Monde à partir d'un point
minuscule, vers l'humanité tout entière ? Mais je ne serai jamais déçu, en considérant que
je compose pour moi seul avant tout. Cet enthousiasme me suffit déjà et
m'apporte une raison supérieure à n'importe quelle désillusion.
Et puis, écrire même pour une seule autre personne, c'est
une autre dimension qui pointe le bout de son nez. Si c'est une personne
que j'aime, chez moi, c'est encore plus essentiel et valable que de changer
le cosmos.
Enfin, le point de vue réaliste, qui veut m'expliquer qu'il est
impossible de changer le Monde est terriblement sans espoir. Déjà,
l'art s'emploie à dépasser tout désespoir d'ordre
matériel, ses lignes portent vers le spirituel et la sensation. Se peut-il que la poésie, d'un coup explose, comme le volcan ? Si la populace se rend compte, soudainement, qu'elle se robotise (l'instinct de conservation peut survenir à tout moment) et désire un retour aux choses moins réelles ? Un retour aux principes de la beauté, un retour vers les raisons de vivre ? Vers les véritables révoltés ? Ceux qui réfléchissent à la destinée humaine ? et nous oublions aussi autre chose : la poésie est l'art qui déborde le plus au-delà de ses limites (limites qu'elle n'a pas vraiment, donc), bien plus que n'importe quel genre. Elle se propage dans la musique (l'influence des poètes sur les musiciens est impressionnante), dans le cinéma, la peinture, l'architecture, le golf, etc. Ses influences sont subtiles, et la poésie est le royaume de la subtilité ! Ce "microscopique" est le noyau dur de tous les arts. De cette
manière, si la collection "poésie gallimard" ne
vend que 250 livres par an, en fait, tous les créateurs, de toutes
espèces, s'inspirent des poètes ou suivent le sillage des
immortels. Quelques exemples de concerts : Le Baudelairien (entre autres, je ne
cite que des auteurs français, les plus connus), qui donne le
mouvement gothique. Et puis la sensibilité Baudelairienne, qui
sait si, d'une manière ou d'une autre, les français aujourd'hui
ne portent pas tous, dans leurs goûts une part de son âme. Ensuite, je t'entends déjà ces voix récalcitrantes
: "Mais à l'époque, c'était plus facile, les
gens lisaient plus, il y avait moins d'œuvres, l'éducation était
meilleure, ils écrivaient mieux." Ce n'est pas faux. Mais
si on observe avec attention l'autre face de cette médaille, si
le terrain de la communication est devenu un champ de bataille, s'il
y a trop d'œuvres dans ce remue-ménage, alors le poète
devra se démener bien plus afin de s'extraire du lot, ses oeuvres
seront plus percutantes. Les efforts considérables à faire,
pour s'élever au dessus de la masse, le portent plus haut encore.
Et les libérations acquises (morales, esthétiques, etc.)
amplifient les possibilités. Des outils, comme internet, finalement,
permettent à tous d'accéder à tout.
Sinon, quelques contre arguments :
04/06/03 |