BAUDELAIRE LA PROSTITUTION SUBLIME
(Essai sujet à de futures additions, au fil du temps)
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TABLE DES MATIÈRES
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INTRODUCTION
Parfois je m'avancerai en direction du soleil, comme à l'assaut et puis, repu de choses sublimes, je reculerai, et l'admirerai d'un peu plus loin, pour goûter le fruit de ses absences. Baudelaire est un de ces êtres familiers et lumineux qui, une fois que nous les avons fait nôtres, nous habitent pour toujours. On le garde jalousement dans notre sein, avec pudeur et attention, jusqu'à ce qu'une nuit on découvre, sans l'avoir cherché, que les fleurs qui ont poussé en silence dans notre jardin intérieur se sont plus seulement les nôtres, mais aussi celles de Baudelaire. Ce sont ces fleurs-là que j'aimerais maintenant décrire.
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LA PROSTITUTION SUBLIME
Un soleil n'explique rien, n'exprime aucune certitude. Il brille, rien d'autre. Et éblouie.
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LE LOINTAIN TOUT PRÈS D'ICI
Un tremblement, pour chaque chose de ce monde, digne d'être aimée. Un temps, aménagé à la mesure de cette éternité qu'il porte en lui. Un temps désamorcé. Ce sentiment religieux, comme un artifice de l'âme, comme un fard sur la paupière. Plongé dans l'incertitude dès le matin de la vie, écartelé par deux mouvements contraires, de contractions et d'élargissements, de crispations et d'extases, de morcellements et de retours à la vie. Plongé dans l'incertitude, il offrait ses mains avec son âme dedans, ce qu'il était (ce qu'il est toujours). Âme déniée par la civilisation confortablement assise dans ses limites. Son œil, qui voyait si loin, avait déjà compris et deviné le seul adversaire digne d'être combattu, l'ennui de la survie ordinaire. Lui qui s'en voulait souvent de planer sur les choses, qui devait demander à la misère de le pardonner. Lui, aussi, qui devait se demander pourquoi moi, sans cesse, pourquoi cette aptitude à l'immensité, pourquoi les autres n'y ont-ils pas droit, s'est refusé même à se reposer sur les richesses qu'il portait. Ces richesses-là qui ne rendent pas heureux.
Des gouffres amers. Des soleils mouillés. Des paysages désolés, des forêts de mâts. Je crois profondément que ce voyage effectué à 20 ans a été, plus qu'un périple forcé, une révélation immense. Si immense qu'une fois la promesse du lointain captée dans ses yeux il a voulu, précipitamment, rentrer chez lui, dans la saleté, le crachat, pour déjà en faire un souvenir et le multiplier à l'infini. C'est ce voyage qui lui a fait connaître, ressentir, retrouver ce léger balancement du navire sur les flots, cette oscillation du paradis à l'enfer, cette berceuse, cet écho du balancement utérin. Sa vie antérieure. Un sentiment qui est à la source de tous ses lancinants voyages, ses vers. Ce lointain a symbolisé en lui cette sorte de mirage, cette voix inexistante de sirène et pourtant si tenace, si irrésistible. Il a conçu qu'il n'avait qu'une seule vie, il l'a offerte a la seule chose qu'il aimait vraiment. Il a su qu'il fallait en faire quelque chose, de son voyage terrestre. Il décidait alors (et non subissait) de prendre tous les risques, c'est à dire de reposer son existence, ce qu'il était, sur ce qui est sans matière, sur un voile de rêve, sur l'impalpable. Aucune marche arrière n'était plus possible. Une fois l'absurdité de l'existence ordinaire comme consumée, avalée, comprise, il lui fallait poursuivre l'éternité qu'il portait en lui.
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CRÉPUSCULE DES CHOSES
Une femme aura vécu mille vies au lieu d'une si elle avait eu la chance
À elles seules prennent plus de place que la vie réelle Un poème de Baudelaire nous donne une sensation d'existence
Lui qui avait les ailes immenses ramassées contre le trottoir
Le monde hurle tellement et ne sait pas se taire Un dandy qui sillonnait les boulevards s'est arrêté-là
Il a fallu que le soleil tombe pour qu'il en tombe amoureux Dans un chant arrêté en plein crépuscule
Il a fallu que le soleil tombe pour qu'il en tombe amoureux
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LE PARADIS MORCELÉ
Baudelaire a voulu, à tout prix, maintenir sa posture de victime dans le monde, afin de préserver sa révolte perpétuelle contre l'ordre des choses, cette énergie à la source de sa poésie. Pour devenir un révolté, il faut d'abord prendre soin de s'entourer de quelques bourreaux. M. Ancelle a joué son rôle avec un talent certain. Le général Aupick, qui lui a volé celle qui, paraît-il, était son seul véritable amour, sa mère, a par ailleurs joué un parfait rôle de martyriseur. Prisonnier de lui-même et de son ciel intérieur. Baudelaire n'était pas de ces hommes qui passent à l'acte. Ou bien rarement, pendant ces sortes de crises où il prend possession de lui-même, ainsi qu'un tonnerre dans un ciel ennuyé. C'est le miracle momentané de celui qui ne parvient pas à se saisir de la vie, qui ne parvient pas à devenir parce qu'il est multiple, il a trop d'envergure. Baudelaire a cultivé sa propre méconnaissance. Devenir lui-même devait sans doute signifier trop, il devait sûrement avoir du mal à contenir en lui un esprit aussi multiple, toutes les facettes de sa personnalité forment un contraste terrible et quasi mortel avec l'exiguïté de la machinerie sociale. On a dit de Baudelaire qu'il était vierge. Sans doute ne l'était-il plus à l'âge de vingt-ans, mais peut-être l'est-il redevenu par la suite. Il a pourtant bien attrapé la syphilis. Ses apparents dégoûts de la lubricité, ce "fouet du plaisir", distributeur de remords, cette "chair qui claque ainsi qu'un vieux drapeau", ce sont surtout les masques de son impuissance essentielle. L'amour, la jouissance matérielle des autres qu'il ne peut plus toucher est, en effet, ce "bourreau sans merci" qui le fait souffrir. Puis il s'est mis à refuser les ivresses qu'il aurait pu faire siennes. Ces ivresses dont il nous parle, comme le haschich, l'alcool, l'amour...il les a vécu surtout à travers l'abstinence, il a goûté, sans avaler. Un peu comme il l'a fait, de manière générale, avec la vie et son réel. Il nous parle de l'ivresse comme un prisonnier chanterait la liberté. Baudelaire est un personnage qui se réinvente dans un perpétuel avortement. Cela se constatait d'ailleurs dans les bouleversements, fréquents, de son apparence physique. On a certains témoignages à ce sujet laissés par les gens qui l'ont connu. Il compris très tôt que la liberté serait son grand danger, quand on est libre il n'y a plus de révolte possible. À l'opposé, c'est à l'intérieur qu'il était fabuleusement libéré. Il est allé trouver de l'or dans les endroits de l'âme et du cœur les plus reculés et les plus illicites. Il jouissait de tout ce qui le distinguait de l'être ordinaire. Il chérissait sa douleur, il en faisait son animal voluptueux. Elle était son ultime refuge. Ses expériences ou ses bribes d'expériences de la vie, ils les vivaient pour qu'elles puissent aboutir à un poème. Son sacrifice à la poésie et à son œuvre a comme "fermé le rideau qui le sépare du monde", l'a privé d'une véritable présence féminine. Son énergie sexuelle et la frustration qui en découle lui servaient maintenant à écrire des poèmes (c'est elle qui inocule à ses écrits ce charme érotique irrésistible), dans la réalité, il regardait de loin l'amour.
La fêlure est peut-être ce qui donne au vase tout son charme, et qui nous le rend pour toujours familier.
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LE DIEU QUI SE RETIRE
Celui qui a entrepris d'offrir ce qu'il est
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CLANDESTIN
Son œuvre est tellement liée à sa vie, c'est à dire à ses expériences, à sa manière de voir le monde, à sa sensibilité...Lorsque je lis "A une heure du matin", je prends un exemple parmi les pièces du Spleen de Paris, je retrouve ses fluctuations intérieures, cette pudeur qui se dévoile par appâts. En se montrant ainsi, on voit bien que Baudelaire voulait plus que nous transmettre des lignes écrites, de la littérature, il voulait aussi nous transmettre son expérience du Monde. C'est en ce sens pour ma part que je m'intéresse à sa vie, de plus en plus, plus profondément chaque jour sûrement tout en conservant, au beau milieu de cette jungle de mensonges, faux-semblants, vie hypocrite, vie clandestine, parsemée parfois de quelques éclairs grandioses et d'ivresses, la part secrète d'une affection naïve pour la beauté magistrale de ses vers et de ses poèmes en prose.
Aussi loin qu'on puisse aller dans un esprit torturé et malsain dans les apparences, il subsiste une part d'innocence. C'est cette part-là qui me magnétise chez lui. C'est en s'adaptant à ce monde que son cœur en est venu à se corrompre, à prendre les plis les plus monstrueux. Baudelaire a d'abord été profondément incompris par sa mère, ce qui sans doute l'a fait bien plus souffrir que tout le reste. Il lui a écrit dans une lettre (de mémoire), "Mon âme, que tu n'as jamais comprise". Baudelaire voulait remédier à cela, c'est peut-être ce qu'il a cherché à faire toute sa vie, ce qui l'a poussé à écrire. Tenter d'être. Ses projets de livres intimes, "mon cœur mis à nu" qu'il a voulu publier mais qu'il n'a pas pu, à la fois par manque de temps et de volonté de laisser encore quoi que ce soit à ce monde, vont dans ce sens. Baudelaire a sa part mystérieuse, incompressible, aussi loin qu'on puisse aller dans le labyrinthe cet l'infini qu'il porte en lui et qu'il nous a laissé comme un héritage sans prix. Subsister tout en essayant de maintenir vivante, de toutes nos forces, cette partie mystérieuse en nous.
Baudelaire, c'est "regarde ce que le monde a fait de moi".
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Je passe rue Regrattier, je longe la rue Saint-Louis en l'île Je me dis que donnerait-il Alors je me dis qu'elle chance j'ai d'être en vie
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Notes : "Pour juger des choses grandes et hautes, il faut une âme de même, autrement nous leur attribuons le vice qui est le notre." Montaigne (au sujet peut-être de son procès) Baudelaire avait conscience floue, instinctive, que les vraies choses se trament en profondeur, à notre insu. Quant à savoir s'il s'agit d'un Dieu, de Satan ou bien des hommes, qui tiennent les fils qui nous remuent... Ils ne le savaient pas, il avait l'humilité de ne pas savoir. Il le devinait indistinctement. Il devinait qu'il n'était pas le réel instigateur de sa propre vie. Il sentait qu'un univers de symbole régissait sa vie.
Je suis d'accord alex, Baudelaire n'est pas un poète maudit (c'est d'ailleurs ce qui me gène un peu dans la page d'accueil de ce site). D'abord parce qu'il a fondé lui même le déclin de son aura et son crépuscule. Il trouvait non seulement du plaisir, mais le sentiment d'exister dans cette position de victime absolue. Ensuite, à la vue de la gloire qu'il a laissé sous son nom, quand on le compare aux nombreux écrivains dont nous n'entendrons jamais parler (et qui n'ont pas forcément moins eut une vie de maudit), cette gloire va pour moi à contrario du maudit qui a sombré dans le puits de l'oubli...
C'est vrai, kel, sur ce point je crois que tu as complètement raison. Si Baudelaire est dur dans le désespoir, il ne nous a jamais enfoncé. Après avoir lu un livre de Houellebecq, je ne me sens pas grandi. Après avoir lu un poème de Baudelaire, je me sens souvent revivre.
Le soir où cet homme a volé à la destinée quelques heures de plaisir, bercé dans sa digestion, oublieux — autant que possible — du passé, content du présent et résigné à l’avenir, enivré de son sang-froid et de son dandysme, fier de n’être pas aussi bas que ceux qui passent, il se dit en contemplant la fumée de son cigare : Que m’importe où vont ces consciences ? Il s'attache au sort de ses semblables, sous couvert d'un "je m'en foutisme", il tend à les élever tout en s'élevant lui-même... Houellebecq aussi a ce "je m'en foutisme", mais je pense qu'il est arrivé à ce stade de la misanthropie plus poussé encore, où il se moque, finalement, complètement du sort du monde. Il prend le monde en dérision, alors que Baudelaire le prend très au sérieux.
Lui, c'est vrai, à propos de surréalisme. Je m'y suis intéressé, un temps, mais j'en suis revenu. À vrai dire, je n'ai jamais vraiment rien appris d'autres que je ne savais déjà. L'écriture automatique, c'est du foutage de gueule, à la limite un exercice pour les étudiants en psychanalyse. Après avoir écrit ou lu un texte d'écriture automatique, on a plus qu'à se rouler dans la m.... Je n'ai jamais lu, à part peut-être les dernières pages des vases communiquants, un texte de Breton qui m'ai marqué. |
Textes non libres de droit. François Leturcq. Image : provient du site : http://short2000.com/short/enter.html |