Morceau de sucre

 

"Chaque image doit produire un cataclysme"
Aragon

 

Les traits abandonnés sur le bord de la marge, cet étrange et glacé remède
Sur une console de cuir, dans un flacon d'encre de chine
Avalante, cette science liquide, ce souffle prémonitoire, qu'elle soit dans le désordre ou retroussée, fixe l'intérieure, qu'il me paralyse et m'exhorte
Ils sont perdus, les châteaux de sable, les coquillages, les perles de savane
Ventres à demi-ouverts ou feuilles à rouler brûlées
Ces rétines les ont vu aujourd'hui passer dans le ciel, dans les avalanches lactées, enfance délassée
Enfance dans les casernes, lucioles dans les cendriers, boucles encore chaudes
Vers quoi m'aspires-tu, mille existences dans mille imaginaires
Se fixent dans une illusion d'optique ou dans le ciel cubique de Magritte
Qu'elle me parle d'un son inaudible, ses cheveux tirés entre deux phalanges deviennent des ondes-martenot, pour qui sait les entendre
Mais l'amour physique est sans issue, l'amour physique est sans issue
Comme ces corbeaux s'épuisent, et ces grands hérons sanglotants à la surface de l'eau, rivières peuplées de cygnes
Ces longues attentes de rouge et ces lignes recourbées, bouches, écran de vase blanc et de tortures, masques cylindriques et paumes sans cesse traversées
Je ne distingue pas la moitié de ce visage, déplace cette main, que je puisse voir ce qu'il est écrit au bord de ce cadre, comme un angiome
Un prisonnier calfeutrée, une épaule dénudée
Un océan entier d'eau douce pour ménager cet abîme
Et mon image verte est atteinte, mon enfantine endormie, fête et comédie sur ce trône, résidus
Et débris, chambres cadavériques, vénus disloquée, radar immobile et lunes recouvertes de sels
Qu'elle me perce le sein par deux fois, mouvante, qu'elle se tourne et se retourne, détachée au sein de la mort, souviens-toi
La fièvre d'une nuit te rendra nostalgique, ma figure sur ce flanc de poivre, la tige des fleurs s'arrachent comme des mandibules
Et peuplent d'un bord à l'autre des verres, toutes ces promesses, ces soutiens, ces plages, ces corps accroupis dans la soie
Ces boules de neige jetées en direction du soleil, souviens-toi encore
Il fallait l'éteindre et nous éteindre avec lui
Que la vision marque notre exactitude, je la garde précieusement comme un philtre rêche
Debout sur sa chaise, toute femme est hystérique pour incarner un peu de la souffrance qu'elle met au monde
Où trouves-tu le faux-fuyant qui la force, ou trouveras-tu son apaisement, car il faut la consoler
Elle monte encore à la source d'un orage, jusqu'au sommet, suis son parfum, suis sa jalousie, elle te contrôle noire de poudre ou de crasse, sans cesse, jamais atteinte ou jamais dans la chute
Elle scintille et se projette un instant sur l'écran, mes lectures, mon âme malade, tentatives sans fins, matière pleine de sang
Celle qui s'écoule dans un dégradé, cabine d'essayage à sensations, souples et constellées d'épines, celle qui ne cessera jamais, vierge discontinue
Souplesse des vergetures dans le dos, fossettes entre le poignet et le bras, attente d'une fille neuve de toute ascension
Vers ce pays central où les candeurs naïves lévitent
Bruissement de cristal dans un morceau de sucre, et le nerf cautérisé
Un semblant d'éther en bouteille pour une ivresse sur le goudron pur
Blessé par une odeur de mort, sur l 'ombre, dans un ombilic infecté
Je me balancerai dans une de ces minutes critiques, grande beauté des profondeurs, beauté-blasphème
Et je te verrai naître, montre-moi ces aspérités infra-utérines, ces bouts de papiers salis, le très physique, le très grand cri, où l'arraches-tu dans cette maladie de coton, dans les mains de la veilleuse, sur la colère d'un pauvre enfant qui n'a jamais finit de s'anéantir, mains vides et plastique-venin
Et la petite vis tombée de la machine, elle ne fonctionne plus pour nous, elle se déglingue
Qu'elle soit peinte sur les voies et les rails d'acier, magnitudes de l'enfer, civilisations
Parle-moi de ce danger, ne reste pas dans cette convulsion, entre à l'intérieur de mon sein incandescent
Une tâche incolore à examiner de près, ce dont tu as rêvé, cet ongle noir
Ton histoire, ces rixes, cette déformation systématique des lèvres et de leur cerceaux, cette bouche ouverte est une plaie bénigne
Ces sons ne cachent pas seulement des blessures
Laisse-moi encore ces traits sur le bord de la marge, ces réflexions qui veulent se perdre pour mieux se rejoindre, et puis cette transe ambiguë
Je ne sais pas ce que tu aimes mais je le tiens, mon ruban fanée, comme une souillure étrangère
Qu'elle soit le culte de la disproportion, aurochs, ô danse de l'artificiel
À l'extrémité volcanique, ces oiseaux bleus perchés sur les grilles, dans la fraîcheur thermale
Avance une autre phalange pour toucher les milles opercules, elles se délivrent, ces couleurs volatiles dans les disparitions, nuée d'oiseaux, je la lie dans les tablatures, musique lumineuse, dans le refrain des araignées
Palpe nu le coeur de la mandarine, plus loin sur le rivage averse, je me trouve à l'ouest de l'indochine, esprit lassé du monde et dans la désespérance, dans les algues rubanées
Couchée sur son océan, immature, les jambes en triangle ou couchée sur le diaphragme, irisation momentanée
Bascule vers le pourpre, pluie de larmes machinales, et fustige une assemblée de satin, gant de moire, messe-silence, destructions et cernes de plasticine
Réveille ce rythme, que les disques reprennent la vitalité, ces côtés tailladées, ces nuits, ces blessures fécondantes, pressées comme des fruits
Serre la à revers, trouve le pendant à cette beauté qui n'aura bientôt plus de nom, ange plein de passion
Cinq cents gorges serrées par le poison, déserts pollués, assoiffées par le lait d'une féline aux griffes rétractiles
Extirpée la souffrance, comme un clou de porte
Cinq cent ans et mille, bercée sous les eaux dormeuses, vaisseaux de pleurs, chemins de grêle
Qu'elle soit l'éclat métallique d'une métaphore, le lit d'une songeuse, transparente, attentive et perdue dans ses vies antérieures
Difficile loi des binômes, difficile loi de l'arithmétique, ma désintégration
Détourne mon usage, approche-toi sans jamais me toucher, je te reconnaîtrai sans le goût de ta bouche
Je te reconnaîtrai aux claquements et aux vibrations

 

10/09/03

 

Innocence of sleep