Les œuvres du Marquis de Sade sont celles d'un insoumis et non celles d'un banal voyeur, pervers. Quand je lis Sade, je ne peux m'empêcher de penser à cette phrase de Montaigne : ""Pour juger des choses grandes et hautes, il faut une âme de même, autrement nous leur attribuons le vice qui est le notre."
C'est le 22 octobre 1785 que le marquis de Sade entreprend la mise au net de ses premiers brouillons des 120 journées de Sodome. Conscient de la puissante originalité de son travail, non moins que des dangers de saisie auxquels un semblable manuscrit est chaque jour exposé, il a décidé, sans en attendre l'achèvement, d'en établir une copie soignée sous la forme la plus facilement dissimulable. D'abord, en vingt soirées, de sept à dix heures, le prisonnier de la Bastille couvre d'une écriture microscopique l'un des côtés d'un rouleau de papier mince de douze centimètres de largeur collées bout à bout ; puis sans désemparer, il s'attaque à la seconde face de cette bande, et, le 28 novembre, termine son manuscrit provisoire tel qu'après cent vingt-cinq années il nous est parvenu. "Précaution inutile pour lui-même, sinon pour la posterité" : après le pillage de la Bastille, ni le brouillon ni la copie ne reviendront jamais entre ses mains. Ajoutons que la perte d'un tel ouvrage n'est sans doute pas la moindre cause des "larmes de sang" qu'il a versées en mai 1790.
(extrait de la préface de Gilbert Lely de "Les 120 journées de Sodome ou l'école du libertinage", de la collection "Domaine français" des éditions 10/18 ) |
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"C'est maintenant, ami lecteur, qu'il faut disposer ton coeur et ton esprit au récit le plus impur qui ait jamais été fait depuis que le monde existe, le pareil livre ne se rencontrant ni chez les anciens ni chez les modernes. Imagine-toi que toute puissance honnête ou prescrite par cette bête dont tu parles sans cesse sans la connaître et que tu appelles nature, que ces jouissances, dis-je, seront expressément exclues de ce recueil et que, lorsque tu les rencontreras par aventure, ce ne sera jamais qu'autant qu'elles seront accompagnées de quelque crime, ou colorées de quelque infamie. [...] Quant à la diversité, sois assuré qu'elle est exacte ; étudie bien celle des passions qui te paraît ressembler sans nulle différence à une autre, et tu verras que cette différence existe et, quelque faible qu'elle soit, qu'elle a seule précisément ce raffinement, ce tact, qui distingue et caractérise le genre de libertinage dont il est ici question" Extrait de l'introduction aux 120 journées de Sodome.
Passages des 120 journées de Sodome : "Le président me dit que cet ami ne voulait avoir affaire qu'à des femmes qui vont être exécutées. Plus le moment où l'on peut les lui livrer est voisin où elles vont périr, et plis il les paye ; mais il faut toujours que ce soit après que leur sentence leur a été signifiée. A portée par sa place d'avoir de ces sortes de bonnes fortunes-là, il n'en manque jamais une, et je lui ai vu payer jusqu'à cent louis des tête-à-tête de cette espèce. Cependant il n'en jouit pas, il n'exige d' elles que de montrer leurs fesses et de chier ; il prétend que rien n'égale le goût de la merde d'une femme à qui on vient de faire une pareille révolution. Il n'y a rien qu'il n'imagine pour se procurer ces tête-à-tête, et encore, comme vous le croyez bien, veut-il qu'on ne le connaisse pas. Quelque fois il passe pour le confesseur, quelquefois pour un ami de leur famille, et toujours l'espoir de leur être utile si elles sont complaisantes étaie ses propositions. "Et quand il a fini, quand il s'est satisfait, par où t'imagines-tu qu'il finit son opération, ma chère Duclos ? me disait le président...Par la même chose que moi, ma chère amie : il réserve son foutre pour le dénouement, et le lâche en les voyant délicieusement expirer. — Ah ! c'est bien scélérat ! lui dis-je. — Scélérat ? interrompit-il... Verbiage que cela, mon enfant ! Rien n'est scélérat de ce qui fait bander, et le seul crime dans le monde est de se refuser quelque chose sur cela.""
Il y a un proverbe (et c'est une fort bonne chose que les proverbes), il y en a un, dis-je, qui prétend que l'appétit vient en mangeant. Ce proverbe, tout grossier qu'il est, a pourtant un sens très étendu : il veut dire qu'à force de faire des horreurs, on en désire de nouvelles, et que plus on en fait plus on en désire. |